Texte commenté dans “Bouddhisme et Kum Nyé“, Cours 4: La souffrance
La pratique de Kum Nye intègre les sensations directement au corps au lieu de les faire passer par le mental. Nos sensations et notre corps sont comme de l’eau qui coule dans de l’eau. D’abord nous « flottons » dans de douces sensations d’ouverture, d’amour et de joie, nous détendant et laissant les sensations elles-mêmes nous soutenir ; plus tard, nous nous sentons soulevés par un sentiment de confiance complète. A mesure que nous nous habituons à entrer en contact avec ces sensations et les courants d’énergie qu’elles produisent, nous apprenons à « nager » à l’intérieur de ces énergies des sens. Un sentiment d’unité et de complétude apparaît… Les pensées, les sens, le mental et la conscience s’unissent dans une sorte d’alchimie intérieure. Quand on pratique le massage Kum Nye quotidiennement pendant au moins six semaines, ces sensations deviennent de plus en plus tangibles et elles ne se produisent pas seulement pendant la pratique mais tout au long de la journée.
Cette « nage » intérieure ou massage dissout les tensions accumulées et libère en douceur l’énergie que nos attitudes rigides et nos concepts avaient « gelée » à un niveau subtil. Cette énergie libérée s’écoule en expérience sensitive qui se diffuse à toutes les cellules du corps. Notre corps devient moins compact, plus fluide et ouvert, plus « ku » que « lu ». En vivant et travaillant au plus près, l’énergie de la sensation et de l’expérience, les pensées et les sensations ne font plus qu’un ; nos sensations n’ont pas besoin d’être accompagnées d’un commentaire mental. Nous trouvons l’expérience directe beaucoup plus substantielle et fondée que celle qui passe par le filtre des pensées et des imaginations. Notre conscience-attention s’accroît.
Lorsque nous laissons notre mental s’emparer de nos sensations, nous perdons l’immédiateté de notre expérience. Aussi, quand vous commencerez le massage Kum Nye, renoncez à toutes les idées préconçues ou associations d’idées que vous pourriez avoir. Les pensées et les concepts ne résident qu’à la surface des choses. Progressivement, allez autant que vous le pourrez à un niveau plus profond qui est celui de l’expérience elle-même. Explorez chaque sensation pleinement. Cultivez les sensations de joie. Imaginez que vous êtes au paradis ; rassemblez des souvenirs positifs, tels des souvenirs de verts pâturages, d’arbres, de ruisseaux, de montagnes. Laissez les sensations et sentiments s’exprimer. Le bonheur est une sensation dans votre organisme que vous pouvez stimuler et développer en donnant plus de saveur à chacune de vos sensations et en l’éprouvant le plus profondément possible. Amplifiez chaque sensation à travers vos sens et vos pensées. Ainsi vous ne serez plus prisonnier des pensées, car vous serez au-delà de l’ego et de l’image de soi.
Si vous continuez à approfondir et amplifier une sensation, vous rencontrerez diverses tonalités sensitives qui peuvent être explorées plus profondément. Dès que vous allez vous mouvoir à l’intérieur d’une sensation, elle s’amplifiera et deviendra comme un massage interne. Au début, une sensation vous amènera à l’esprit diverses images. Mais à un niveau plus profond, sans qu’il y ait besoin d’images, la sensation sera profondément nourrissante. Finalement vous deviendrez la sensation et il n’y aura plus d’expérience ou de sujet qui fasse l’expérience. Alors vous serez vous-même approfondissement, ouverture, satisfaction et complétude.
Tarthang Tulku, “Yoga tibétain: Massages et postures”, Trédaniel 2018, p.69-70.