Document commenté dans “Bouddhisme et Kum Nyé“, Cours 5: Le karma
Lorsque nous contemplons n’importe quel objet sans le fixer, nous pouvons observer la qualité de mobilité de l’esprit au repos. Ensuite, les yeux et les oreilles commencent à saisir les objets visuels et les sons, et envoient un flux de données sensorielles brutes à travers les nerfs. En quelques instants, des impulsions commencent à surgir et forment des ondulations à la surface calme de l’esprit. Le flux des données devient plus pressant : les ondulations deviennent des mouvements puissants, des vagues qui coulent vers la conscience et qui prennent un contour et une forme. Presque instantanément, le contour et la forme ne sont plus nus, mais ils sont complètement revêtus de significations et ornés de couches d’associations et de jugements, de j’aime et je n’aime pas, de je veux et je ne veux pas. Soudainement nous sommes conscients : les perceptions sont claires et distinctes, et nous savons ce qu’elles signifient d’après leurs caractéristiques. Nous pouvons identifier non seulement une femme, mais nous pouvons obtenir également une mine de renseignements d’après ses vêtements, son comportement, sa coiffure. Nous voyons une robe et nous reconnaissons d’après son style et sa couleur un lama, un prêtre ou une nonne. De façon similaire, chaque perception s’habille avec son propre vêtement et nous savons d’après ce vêtement ce que l’image signifie, ce que nous en attendons et comment y répondre. La vue est établie, les significations sont déterminées et l’esprit est constitué. Une fois que tous les fils de la perception sont attachés en un nœud unique, il est presque impossible de les dénouer, de les trier et d’arriver à une conclusion différente.
Les perceptions dictent les réponses
De temps en temps, surtout lorsque quelque chose s’est mal passé dans notre vie, nous pouvons nous demander : « Comment est-ce arrivé ? ». Mais nous savons à peine comment fonctionne le processus cause et effet. La tradition de l’Abhidharma offre une manière de comprendre les opérations de l’esprit en décrivant cinquante et un événements mentaux, parfois soixante-quinze voire plus. Activés par le flot des perceptions qui circulent à travers la profusion des mémoires de l’esprit et des associations, ces événements mentaux se suivent comme les wagons d’un train. Chacun a sa propre cause, son propre effet et son propre résultat. Cependant, ils sont tous liés les uns aux autres, ils s’influencent et se renforcent mutuellement.
Certaines perceptions sont familières et d’autres ne le sont pas. Mais en général nous pouvons nous mettre suffisamment en lien avec elles pour nous permettre de répondre : nous voulons ou ne voulons pas, nous saisissons, nous rejetons ou nous sommes neutres – pas particulièrement motivés pour s’emparer de quelque chose ou le repousser. Les réponses neutres peuvent être positives ou bien négatives. Une réponse positive neutre est libre de saisie – nous permettant ainsi d’expérimenter le calme et l’ouverture du simplement être. Mais la neutralité peut également avoir une qualité terne, sombre et lourde qui attache les nœuds des perceptions, associations et significations de manière encore plus serrée, et les imprime plus profondément dans notre conscience.
Chaque perception, événement mental et attitude a son propre caractère qui a une forte envie de s’exprimer. Puisque la conscience porte ces caractéristiques, notre perception et les ressentis qui en résultent sont connectés étroitement avec elles. Quand une caractéristique se manifeste, l’esprit et le corps doivent obéir, et ils obéissent en fonction de chaque caractéristique. Quand ces caractéristiques sont positives, l’esprit et le corps peuvent manifester de l’amour et de la joie. Quand les caractéristiques sont négatives, l’esprit et le corps peuvent manifester de la colère et de la rage, ou de la lourdeur et de l’apathie. Ils peuvent également s’exprimer sous forme de dépression ou à travers des ressentis d’aliénation, d’égarement et de solitude. Quels que soient les ressentis et émotions qui s’élèvent, nous devons nous en occuper. Ils contrôlent notre être et nous n’avons pas le choix.
Tarthang Tulku, « La Joie d’être », Trédaniel, 2018, p. 100-102.