Comment distinguer le yoga tibétain du hatha-yoga ?
Extrait d’une interview réalisée par Jean-Pierre Laffez, publiée dans « Carnets du Yoga », décembre 2020.
Pour commencer je vous propose quelques précisions terminologiques.
Le terme tibétain pour yoga est « neldjor » (rnal ‘byor en translittération wylie). « ‘byor » signifie « s’unir, se connecter », ou « découvrir », et « rnal » peut être traduit par « condition réelle », « état fondamental ». Ainsi le yoga est un ensemble de pratiques dont le but est de s’unir, ou d’être en contact, avec ce que nous sommes véritablement. On parle souvent de reconnaître la nature de l’esprit.
Ensuite l’expression « yoga tibétain » renvoie seulement au fait que ces pratiques sont exercées au Tibet, et/ou proposées dans le cadre de l’enseignement du bouddhisme tibétain ou bön. Il en existe différentes formes et parfois elles ne se ressemblent pas du tout ! Le yoga le plus connu est les six yogas de Naropa, mais nous pouvons également trouver d’autres Yantrayogas (tib. ’Phrul ’khor or ’khrul ’khor – prononcé « Trülkhor »), Kum Nyé, ou encore le yoga tibétain tel qu’il est pratiqué dans la tradition bön.
Quant au terme « haṭha-yoga », plusieurs propositions de traductions ont été proposées – les plus courantes il me semble sont « union du soleil et de la lune » ou « yoga de la force ». La première est d’ordre symbolique, quant à la seconde, toute la question est de comprendre ce que l’on entend par « force ». On trouve même parfois le terme « violence ». Est-ce les pratiques en elles-mêmes qui demandent beaucoup de force physique ? Ou est-ce que ces pratiques demandent beaucoup d’effort, de persévérance, ce qui nécessite alors une certaine force mentale ? Même si ces deux explications ont du sens et sont pertinentes, je suis plutôt favorable à la thèse que « haṭha » renvoie à la force des bénéfices des techniques proposées. De nombreux bienfaits sont associés au haṭha-yoga, et quand il est pratiqué avec le rāja-yoga, le bienfait ultime est la libération, ce qui revient à reconnaître la nature de notre condition.
En ce qui concerne le but, le haṭha-yoga et le yoga tibétain semblent bien proposer le même. Il faudrait néanmoins clarifier si la libération proposée dans les deux cas est identique. Un même mot peut cacher parfois des réalités différentes.
D’un point de vue historique, il est intéressant de constater que certains travaux considèrent que l’origine du yoga tibétain ne se trouverait pas ailleurs que dans le haṭha-yoga. En effet, ce dernier aurait subi beaucoup d’influences de l’hindouisme, mais aussi du bouddhisme. D’ailleurs, les premiers textes où le mot « haṭha-yoga » est souvent mentionné sont issus des tantras de la tradition bouddhique ! Par ailleurs, il est également supposé que parmi les mahasiddhas indiens reconnus par les tibétains – les plus connus par la tradition sont notamment Saraha, Tilopa et Naropa -, certains appartiennent à la lignée des Nathas comme Matsyendranatha et Goraksha.
Donc même si les pratiques sont différentes dans la forme, en essence la différence n’est pas si claire. Les axes de travail sont en effet les mêmes quelle que soit la pratique envisagée – le corps physique (mouvements, étirements, postures), la respiration, le corps subtil, des visualisations, etc.
En admettant que le cœur de ces pratiques soit identique, ou au moins jusqu’à un certain point, je vois trois grandes différences entre le haṭha-yoga et le yoga tibétain.
Tout d’abord les exercices proposés ne sont pas toujours les mêmes, ou il y a différentes façons de travailler avec le même exercice. Cela est valable au sein même du haṭha-yoga ou du yoga tibétain.
Ensuite, le cadre dans lequel s’opère la transmission est différent puisque le yoga tibétain s’inscrit au sein de la tradition bön ou bouddhique. Donc les textes de référence, les lignées de maîtres et disciples, ou encore les structures de l’enseignement sont différentes.
Notons aussi que le yoga tibétain est encore aujourd’hui proposé au sein de lignées bien identifiées avec la présence de la tradition (en majorité je pense mais il faudrait creuser cette question). Normalement il est proposé conjointement à d’autres pratiques et enseignements, parfois à des moments bien spécifiques au cours du chemin, dans la perspective de l’Éveil. Le développement du yoga indien en Occident semble être différent.
Pour information, voici les cinq questions posées dans cette interview :
1°) Sandy, pouvez-vous compléter cette présentation et nous dire comment vous êtes venue au bouddhisme, au yoga et plus particulièrement au yoga tibétain.
2°) Vous venez de publier aux Éditions Sully, « Tous les êtres sont des Bouddhas ». Pouvez-vous nous parler de ce livre, traduction d’un traité du Troisième Karmapa.
3°) Dans les lignées du bouddhisme tibétain, le Karmapa est un personnage important. Parlez-nous de ce rôle, peu connu. Qu’en est-il actuellement du Karmapa ?
4°) Comment distinguer le yoga tibétain du hatha-yoga ?
5°) La vie se nourrit de projets, avez-vous des projets, notamment de publications. Quels seraient vos souhaits pour nos lecteurs.